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La délégation de pouvoir dans les SAS

La délégation de pouvoir dans les SAS

09/08/2010

La délégation de pouvoir dans les SAS


Le 1er juillet 2010

 

L’article L 227-6 du Code de commerce dispose que :
« La société est représentée à l'égard des tiers par un président désigné dans les conditions prévues par les statuts. Le président est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société dans la limite de l'objet social. »

A la lecture de cet article, certaines Cours d’Appel ont jugé que les lettres de licenciement signées par une autre personne que le Président de la SAS sont nulles.

En effet, seul le Président ou à défaut le Directeur Général inscrit au Registre du Commerce et des Sociétés, aurait le pouvoir d’engager la société à l’égard des tiers.

D’autres Cours estiment qu’une simple délégation de pouvoir, même non publiée, octroyée par le représentant légal, habilite un salarié de l’entreprise, tel qu’un Directeur des Ressources Humaines, à signer des lettres de licenciements.

Cette jurisprudence de Cour soulève plusieurs problématiques concernant la possibilité pour un Président de SAS de déléguer ses pouvoirs et les conditions de validité de telles délégations.

En réalité, il convient de ne pas confondre la notion de représentation générale de l’entreprise avec la délégation de pouvoir propre à une matière précise, nécessaire à la gestion quotidienne de l’entreprise.

 

Ainsi, le représentant légal d’une société peut transférer, dans les limites fixées expressément par les statuts de la société, une partie de ses pouvoirs et de ses responsabilités, (qui peuvent eux-mêmes être limités par des clauses statutaires de limitation des pouvoirs). Ce faisant, le représentant légal confie également à une autre personne, au nom et pour le compte de la société, le mandat de représenter cette dernière.

Dans les SAS, en application des articles L 227-6 et R 123-54 du Code de commerce, les délégations du pouvoir général de représentation sont réservées aux directeurs généraux ou directeurs généraux délégués. Elles doivent être prévues par les statuts et faire l’objet d’une publicité au registre du commerce et des sociétés.(la publicité est assurée par le dépôt régulier des statuts mis à jour au greffe du Tribunal de Commerce compétent)

La délégation spécifique de pouvoir, celle qui est pratiquée quotidiennement dans le cadre de la gestion habituelle des entreprises, n’a pas quant à elle vocation à opérer une délégation du pouvoir général de représentation de la société, mais est propre à une situation précise (la gestion des ressources humaines par exemple) et participe d’une organisation interne de l’entreprise.

La délégation de pouvoirs (générale ou spécifique) se distingue par ailleurs de la délégation de signature par laquelle le représentant légal se borne à charger une personne de signer pour son compte et en ses lieu et place tel ou tel acte relevant de ses pouvoirs.

A notre avis, les dispositions de l’article L 227-6 du Code de commerce qui posent une règle de répartition du pouvoir général de représentation de l’entreprise propre au droit des sociétés ne sont pas susceptibles de s’appliquer aux délégations spécifiques, et n’édictent aucune condition de validité supplémentaire des délégations participant de l’organisation interne des entreprises.

Ainsi, l’interprétation retenue par certaines Cours d’Appel en matière de licenciement dans les SAS, qui exige que toutes les délégations de pouvoir fassent l’objet d’une publicité au registre du commerce, est à notre sens contra legem, puisqu’elle impose des restrictions à la faculté de déléguer que la loi ne prévoit pas.

Elle aurait de surcroît pour conséquence d’opérer une distinction injustifiée entre les différentes formes de sociétés, soumettant la SAS à un formalisme dont les autres sociétés seraient exemptées.

C’est ainsi que la Cour d’Appel de Versailles, dans son arrêt du 5 mai 2010, a jugé que « attacher la sanction d’un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse à la signature d’une lettre de licenciement par un directeur d’établissement ou des relations humaines, est en contradiction avec toutes les règles applicables à la notification des licenciements dans les autres formes de sociétés et créerait une distinction injustifiée au regard du droit du travail, qui commande une interprétation stricte de l’article L 227-6 du Code de commerce ».

La sanction prononcée par les Cours d’Appel est tout aussi illégale.

 

En effet, la nullité, notamment en matière de droit du travail, ne peut résulter que de la loi, or aucun texte ne vient prévoir cette sanction en cas de défaut de pouvoir de signature de la lettre de licenciement.

Par ailleurs, en matière de mandat, le dépassement par le mandataire des pouvoirs qui lui ont été délégués, n’entraîne pas de facto la nullité des actes juridiques accomplis. Cette nullité peut être couverte par la ratification du mandant. Il appartient dès lors à l’employeur (le mandant) de ratifier expressément, même implicitement les actes litigieux. En droit du travail,la Cour de Cassation a retenu qu’une ratification implicite résulte notamment de cette circonstance que la procédure de licenciement s’est poursuivie jusqu’à son terme (Cass Soc 10/11/2009).

Enfin, il résulte de l’article 1984 du Code civil que la nullité d’un contrat en raison de l’absence de pouvoir du mandataire ne peut être demandée que par le mandant. Ainsi, seul l’employeur pourrait demander la nullité du licenciement. (Civ 1ère 2/11/2005).

La position du cabinet est la suivante :

  • Un président de SAS peut valablement opérer une délégation spécifique de ses pouvoirs, propre à une situation (comme la gestion des ressources humaines).
  • Elle peut être octroyée à tout salarié de l’entreprise et même à une personne étrangère à celle-ci mais appartenant au même groupe (Cass Soc 23/09/2009).
  • Elle peut être à durée indéterminée, à partir du moment où elle est révocable à tout moment.
  • Elle peut être orale, voire implicite, et résulter des circonstances de fait (Cass. Soc. 18 nov. 2003) à condition néanmoins que le délégataire dispose des moyens, de l’autorité et de la compétence nécessaires.
  • En tout état de cause et afin de sécuriser au maximum les opérations juridiques, il est souhaitable de mettre en place au sein des entreprises des délégations de pouvoir écrites et précises.

La Cour de Cassation devrait se prononcer au mois de novembre 2010, a priori en Assemblée plénière, afin de trancher la question. Elle devrait rappeler que :

  • Le président et les directeurs généraux ou directeurs généraux délégués mentionnés sur l’extrait du registre du commerce et des sociétés, peuvent déléguer leur pouvoir général de représentation de la société si cette faculté est prévue dans les statuts. Une telle mention n’est pas nécessaire lorsqu’il s’agit d’assurer le « bon fonctionnement interne de la société aux fins d’accomplir certains actes déterminés, notamment en termes de gestion du personnel » (CA Paris 18/02/2010.)
  • Bien que la délégation puisse être orale, la prudence invite à établir un écrit antérieur à la date de l’acte engageant la société.
  • Les délégations de pouvoirs spécifiques n’ont ni à être publiées au registre du commerce et des sociétés, ni à figurer dans les statuts. Seules doivent apparaître au registre du commerce et des sociétés les indications relatives aux personnes qui ont le pouvoir général d’engager la société, sans que cela ne concerne le cas des délégations spécifiques sur le pouvoir de signer une lettre de licenciement (Conseil des Prud’hommes de Paris 7/04/2010).

 

Nous vous invitons à nous retrouver sur notre site en novembre pour le commentaire de cette décision.

Dans l’attente, nous nous tenons à votre disposition pour vous accompagner dans la mise en place de délégations de pouvoirs dans votre entreprise, et vous apporter un éclairage particulier sur les conséquences pratiques de cette jurisprudence dans le cadre de votre activité.